19/08/2008

Les pleurs d'Ida

Faîtes rougir le monde, bleuir le vent et pleurer les fleurs. Mais déjà leurs couleurs se fanent, leur larmes s'ennuient en s'évanouissant, avant même que le temps n'ait rattrapé sa course qui n'a ni commencement ni fin, mais n'est qu'éternel errement, recommençant sans jamais s'arrêter. Ses bras débiles tombent, inertes et impuissants, ses membres se disloquent et sa tête tourbillonne. Ses mains se heurtent. Ses mains marquent le rythme que des milliards d'êtres interprètent à tort - à travers. Trouvez des images nouvelles, trouvez des sons inconnus, chantez - faîtes pleurer les fleurs. Mais leurs larmes s'ennuient. Si elles perdent leurs pétales pour danser en secret à la tombée de la nuit, venez les espionner au trou de la serrure dont le verrou béant est une plaie infectée, une prison ouverte aux voyeurs - dans leur regard dégorgeant une avidité morbide à en faire pâlir les morts se terre une angoisse profonde, se reflète une absurdité maladive, un désespoir prêt à tout pour leurrer ceux qui le regarde les observer. Mais les fleurs ne font que danser; faîtes-les pleurer leurs larmes cachées, leurs couleurs inattendues, pour vous en vêtir en trop forte froidure. Faîtes-les pleurer la bile amère que vous cachez au fond de vous, derrière un masque rouge d'argent, bleu de bitume - mais comme ces couleurs sont belles à l'intérieur!, trop belles! - quittez-les, parez-en la tristesse des fleurs amères.

03/08/2008

La neige et la flamme

Il y avait un prince qui s'appelait Neige. On l'appelait ainsi parce que ses cheveux étaient blancs, et ses yeux étaient gris, comme s'ils avaient glacé, comme si leur iris s'était décoloré lors d'un hiver rigoureux. On disait aussi parfois que son cœur était fait de neige poudreuse, qu'il était froid et instable. Neige voulait se fiancer, parce qu'il était en âge de se marier et qu'il pensait qu'une compagne réchaufferait son cœur glacé. Alors il embrassa ses parents, salua ses frères et partit en voyage, avec pour seul bagage l'éclat de sa peau diaphane, la poudreuse de sa chevelure, et le reflet sombre de son œil d'argent. Il s'envola d'abord sur le dos d'un aigle qui l'emmena si haut qu'il fit la connaissance d'une étoile dénommée Stella. Stella irradiait de lumière claire, et Neige, qui était très narcissique, s'enticha de l'étoile de laquelle émanait une clarté familière. Il la demanda en mariage, Stella demanda quel présent il lui proposait en échange.
- Si tu acceptes de m'épouser, je t'offre l'éclat de ma peau, pour que tu puisses briller encore davantage.
- Ma foi, je sais briller, et si je brille plus fort, je serai encore plus belle que mes sœurs. Et puis, tu es jeune et beau. J'accepte.
Neige lui offrit la clarté de sa peau, et Stella, ravie de ce cadeau, se dit qu'elle avait bien de la chance d'épouser un garçon si beau et si hors du commun. Ils préparèrent les cérémonies, et tout le ciel s'agita autour d'eux. Au moment de dire oui, Neige se dit qu'il ne voulait pas passer l'éternité avec la même femme, et son cœur de glace prit du plaisir à voir le visage de Stella se décomposer. Il s'enfuit la nuit suivante, mais comme il avait donné l'éclat de sa peau à Stella, il était déjà moins remarquablement beau.
Son aigle se posa alors sur une haute montagne orientale qui s'appelait Mona. Mona était grande, le matin elle se fardait de mille couleurs plus ravissantes les unes que les autres : du bleu à la lavande au rosé. Comme c'était l'hiver, les neiges faisaient à sa cime comme une coiffe élégante. Neige se dit que cette montagne savait se parer et que ce devait faire une femme bien coquette, alors il la demanda en mariage:
- Si tu m'épouses, je t'offrirai la poudre éternelle de mes cheveux, pour qu'en toute saison tu resplendisse davantage.
Mona, qui était comme nous l'avons dit fort coquette, apprécia ce présent et se dit que le prince devait être un bon parti, qu'il était beau et qu'il saurait l'estimer à sa juste valeur; cela suffit pour qu'elle en tombât amoureuse, et elle accepta avec plaisir. Alors on prépara le mariage; mais quand vint le jour, Neige se dit qu'il ne pourrait vraiment pas épouser cette femme si cela voulait dire passer une grande partie de sa vie avec elle seule, et son cœur refroidi lui conseilla de prendre la fuite, ce qu'il fit en se hâtant. Mais sa chevelure s'était affadi elle aussi, et elle avait pris une teinte bien banale.
Neige s'aventura dans une grande prairie le soir, où il rencontra une fleur qui s'ouvrait au crépuscule et qui se prénommait Belle de Nuit. Il la trouva fort originale et voulut l'épouser. La fleur, déjà à moitié conquise par son regard nocturne, lui demanda ce qu'il pouvait lui offrir et il lui proposa de lui donner l'obscurité de ses iris. Flattée, elle accepta. Ils ne purent se marier, parce que Neige fila quand il se vit si ordinaire face à son reflet dans le lac, et son cœur hivernal lui murmurait que, de toutes façons, une fleur si belle était forcément une mijaurée.
Neige se trouva alors fort laid et fort seul, et il s'enfuit loin. C'est alors qu'il vit une lueur au matin. Il s'approcha de la lumière et vit qu'il s'agissait d'une flamme. Il la trouva fort belle, quoique simple. Et elle lui murmura qu'elle vacillait et qu'elle allait bientôt mourir, mais s'il acceptait de lui donner un baiser pour qu'elle garde le souvenir d'une vie bien achevée, il serait bien bon. Le cœur de Neige chercha bien sûr à le faire hésiter, mais Neige était bien seul, et la flamme bien jolie. Il l'embrassa et son cœur fondit. Neige et la flamme furent très heureux, même si cela ne dura pas l'éternité.

02/08/2008

[Insomnie]

C'est fou quand j'y pense - cette idée m'empêche de dormir tant elle est angoissante : j'ai refoulé un peu plus d'un an de mon existence. Je n'en ai qu'un vague souvenir brumeux auquel je ne fais guère confiance. Je ne sais plus vraiment ce que j'ai fait cette année-là, mais son évocation m'inspire un sentiment de mollesse et de lâcheté. Je n'ai pas cessé d'être moi ou de vivre, mais j'ai vraiment été frileuse à un point qui me fait subitement honte. Cette honte m'empêche de dormir aussi. J'aimerais m'excuser, mais je doute que ça soit une solution. Je ne peux pas me justifier ni ressentir de la culpabilité, précisément parce que je ne sais plus ce que j'ai dit ou fait de vraiment important. Ça m'échappe. Et tout d'un coup je suis frappée par la gravité de cette situation. J'ai été triste, j'ai été lâche et je ne me souviens plus vraiment de tout ça.
Et j'aimerais m'en souvenir, parce que cette lâcheté ternit mon orgueil. Je ne veux pas recommencer ça, jamais. Le courage me donne la mémoire.
La mollesse me file la gerbe.
Ma mollesse me donne des envie d'autodestruction qui me rendent molle...
Il faut être forte, pour trouver du courage, pour se souvenir.
Se souvenir, c'est pouvoir raconter. Raconter son histoire, c'est se parer d'une vie digne de ce nom.
Je suis peut-être vraiment orgueilleuse, mais ça ne me semble pas être nécessairement une mauvaise chose.
J'aimerais être plus forte - et avoir les yeux et les oreilles grands ouverts. Sortir de ce petit esprit étriqué pour voir et apprendre de ses erreurs. Je crains de ne pas seulement m'être amochée moi-même. Mais considérer cette éventualité représente un fardeau vraiment lourd.
Il fallait dire les choses, au lieu de les regretter et les oublier.
Il fallait les dire, au lieu de souffrir, et de s'affaiblir.
Il faudra trouver le courage de dire.
Les moments opportuns sont sans doute passés. Je ne peux plus supporter les regrets, mais il faut songer à se souvenir.
J'ai tellement envie de demander pardon, mais c'est trop tard. Ça me fait pleurer de honte.
Je ne peux plus dormir.